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Carnet de voyage : retour d'Inde

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Carnet de voyage : retour d'Inde

Etat du Kerala

Récits d’Antoine, acheteur chez Terre Exotique

Janvier 2023

Arrivée dans la région du Kerala

Je suis particulièrement ému par ce voyage, à la rencontre des producteurs d’épices de cette zone montagneuse reculée. D’abord parce qu’il me permet de retrouver nos amis paysans du Kerala qui, depuis le début de l’épidémie mondiale de Covid-19 n’ont quasiment eu aucun visiteur étranger. Ensuite parce que c’est ici que tout a commencé, « poivrement » parlant. Le poivre, appelé « pippali » en malayalam, y'a trouvé ici, perché à plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer, les éléments propices à son développement botanique. On estime que les premiers échanges commerciaux du poivre remonteraient à l’Antiquité avec, entre autres, les peuples de la Mésopotamie. Les différentes variétés de poivres se seraient alors disséminées à travers le monde en recherche de conditions environnementales similaires nécessaires à son éclosion. Le Kerala témoigne encore aujourd’hui de sa grande diversité de poivres unique au monde puisque plusieurs dizaines de variétés de poivre à l’aspect et aux notes aromatiques diverses continuent de pousser de manière endémique dans les jardins de ses habitants.
Après un long voyage, j’arrive enfin au port de Cochin, au sud-ouest de la côte indienne. Il ne me faut désormais plus que 6 « petites » heures pour rallier les collines sacrées du Sahyadrī au cœur du Kerala. Sur la route slalomant à l’ombre des cocotiers une chorégraphie débute alors, où se mêlent à la danse camions, motos, zébus et singes, le tout dans un décor verdoyant.

Au cœur des collines de Peermade

Perchées à quelques 900 mètres d’altitude au sud-est de Cochin, l’histoire raconte que les collines de Peermade étaient un lieu de retraite spirituelle pour les maharajas du royaume de Travancore. Son nom lui a été attribué en hommage au poète et saint soufi Peer Mohammad. Il y a plusieurs siècles de cela, les peuples indigènes « Mala Aryans » vouaient déjà un grand respect à la nature. Leurs divinités leur interdisaient de surexploiter les ressources naturelles de la forêt. Cette conscience écologique a perduré dans le temps puisqu’aujourd’hui cette zone géographique constitue une réserve naturelle, protégée par ses habitants qui continuent de cultiver la terre en symbiose avec la nature. C’est donc ici au sein de ce décor à la végétation luxuriante et aux cascades d’eau spectaculaires que tout a commencé. Le charme du Kerala est envoûtant ! Ses hommes et ses femmes aux sourires communicatifs, ses vallées, collines, rivières et cascades où la nature exprime son abondance… Il règne ici un doux parfum de quiétude, bien loin de l’agitation des villes modernes polluées.

La forêt de Kannampady, un véritable jardin d'Eden

Le lendemain, nous partons à la rencontre de cueilleurs de poivre dans la forêt de Kannampady avec pour quête l’identification de différentes variétés de poivres. Après plusieurs heures de route, j’arrive sur place. C’est ici que des lianes de poivres ont pris racines sans intervention de l’homme pour la première fois il y a de ça des milliers d’années. C’est fabuleux ! Je me trouve en fait au sein d’un formidable écosystème où chaque élément a son importance. Ici ne pousse pas seulement du poivre ; il existe une formidable harmonie. Les lianes de poivres s’enroulent autour des arbres tuteurs d’erythrina, qui leur offrent un support solide et une protection efficace contre les prédateurs grâce aux nombreuses épines. L’arbre apporte également un ombrage précieux à la liane de poivre. Pour compléter le tableau de famille, de nombreux caféiers et bananiers poussent aussi côte à côte. La biodiversité est renversante dans les plantations de poivre. Café, vanille, coco, cacao, banane, jackfruit, ananas, muscade, gingembre, galanga, curcuma, manioc… Chaque plantation prend des airs de jardin d’Eden.

Une nature en péril

Hélas, tout cela reste bien fragile. Les producteurs me font part de leurs difficultés de plus en plus grandes face aux changements climatiques. L’eau se fait rare et lorsque la pluie arrive enfin, elle tombe avec violence entraînant destruction des récoltes, glissements de terrain et inondations dans les villages. L’équilibre est précaire et je mesure l’enjeu pour ses familles de paysans et la nécessité pour eux de diversifier leurs cultures afin de s’assurer différentes sources de revenus en cas d’avaries. Ainsi, de plus en plus d’agriculteurs misent sur la production de gingembre, de curcuma et de galanga qui sont considérés comme des garanties face aux multiples risques climatiques mais aussi face aux différents prédateurs. Ici, il n’est pas rare d’assister aux passages d’éléphants, de buffles ou même de sangliers considérés comme autant de risque pour les cultures.
Au cours d’une discussion avec un paysan âgé de 68 ans, ce dernier me confie ne pas vouloir que ses enfants reprennent l’exploitation familiale. La ferme a été touchée il y a peu par un glissement de terrain, causant la perte de l’ensemble de la production. Le métier est trop difficile. Pas de garantie, pas de sécurité, l’incertitude est omniprésente. Il préfère donc voir ses enfants partir pour les grandes villes où ils feront des travaux ingrats mais où ils auront la garantie d’être payés à la fin de la journée. Cette discussion me conforte dans l’idée qu’il est primordial de construire des partenariats durables dans l’accompagnement des paysans de cette région.

Entraide et espoir

Ici, les cueilleurs parlent le malayalam qui est une langue provenant du sanskrit. Un interprète m’accompagne afin de traduire nos échanges. La récolte du galanga bat alors son plein. Famille, voisins et amis s’entraident. Je fais également une récolte généreuse de sourires que m’adressent les cueilleurs. Il existe ici une multitude de variétés de poivres (nili mundi, panyoor, vela mundi, erumani,…) mais les cueilleurs ne font généralement pas la différence entre elles. Chaque récolte constitue ainsi une formidable mosaïque de poivres aux grains et arômes variés. Toutefois, afin de valoriser les différences botaniques de chacun de ces poivres, des agronomes et botanistes indiens travaillant pour une ONG locale viennent apporter leurs soutien et connaissances. Enchantés par ce projet qui aura autant de répercussions sociales qu’agronomiques, nous décidons de nous associer à celui-ci. La valorisation de ces variétés endémiques est donc en bonne voie.

Le secret du vadouvan

Je reprends la route en direction du nord du Kerala, à la frontière avec l’état du Tamil Nadu. Les majestueux arbres d’Alibizia Saman, le long des chemins, abritent du soleil les marcheurs en quête de fraîcheur. Des palais et temples à l’architecture époustouflante se succèdent tout au long du périple. Je retrouve enfin une famille qui détient le savoir-faire du vadouvan. La préparation de ce fameux assemblage d’épices fermenté du sud de l’Inde dure pendant 7 jours. Les ingrédients sont ajoutés jour après jour dans un ordre bien précis, avant d’exposer le tout au soleil pour activer le processus de fermentation. Il est ensuite consommé comme un assaisonnement populaire afin de sublimer les curry.

Recette du curry de poisson au kerala : 

Lors de ma visite sur les collines de Peermade, mon ami et partenaire, Jomon, m’a fait découvrir une curieuse plante appelée « Garcinia ». Il s’agit d’un fruit déshydraté puis fumé. À la fois acide et sucré, il est utilisé de manière traditionnelle dans la préparation du curry de poisson auquel il apporte son arôme fumé. Par chance, Jomon me propose de cuisiner avec eux cette recette, qui est une recette emblématique de la région transmise de génération en génération.
 

 

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Commentaires
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claude bugnet
18 janvier 2023
Magnifique reportage comme toujours, une superbe découverte du monde grâce aux épices. Continuez à nous faire voyager et surtout à participer à la préservation des cultures des peuples et de la nature. Cordialement
VERONIQUE SEON
29 janvier 2023
Ce récit me donne encore plus l'envie de visiter cette région du sud de l'Inde, le Kérala. Ce mot m'évoque déjà le paradis, fragile par nature. Je suis très heureuse de savoir que Terres exotiques construit des partenariats éthiques. Il est important que toutes les compétences soient réunies pour protéger la nature et rémunérer les acteurs de cette protection. Merci de partager avec nous cette aventure du bout du monde. J'aime!